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Démarré par Ostap Bender, 22 Mars 2013 à 11:20

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Ostap Bender

Bonjour
Je n'avais pas posté depuis la fin du mois de mai 2011.
A cette époque je venais de déposer mon dossier de surendettement à la banque de France.
Mais mon histoire commence avant.
Quand ... en fait ?
En 2003 quand j'entre dans la vie active pour faire un métier rémunérateur, dans de bonnes conditions de travail et de salaire mais que je n'ai aucune conscience de ce qu'est l'argent. J'encaisse, je dépense ... . J'achète un ordinateur portable ... carte c....a, des vêtements dans un magasin dont le nom succède à l'hiver, carte du même nom chez M........e. Je ne savais pas du tout que ces crédits m'engageaient. Ensuite, viennent les impôts que je paie avec retard. Ca s'accumule. Cette même année, je paie pour la première fois de ma vie, je paye des impôts. J'inaugure une très mauvaise habitude: le retard. De 2003 à 2010 (jusqu'à ce que je vienne sur le forum, en fait), j'ai payé avec 10 % de retard des sommes qui se sont accumulées. Les premières saisies sur salaire (les fameuses ATD) interviennent à partir de 2005, l'état reprend ce qu'il me donne (je suis fonctionnaire). Comme il faut continuer à vivre et à ne pas compter (je n'avais aucune confiance de ce que c'était qu'un budget, autre découverte que je ferais ici), ce sont mes crédits qui vont financer le manque à gagner ... je m'endette, je m'entête. En 2006, mon meilleur pote me demande si j'achèterais avec lui une maison de campagne ... C'était la maison dans laquelle notre bande d'amis allait (c'est la propriété des parents d'un de mes camarades) pendant tous les week ends. Je ne réfléchis pas ... je dis oui. Je vais voir ma banque. Elle est très compréhensive ... oui bien sûr. Elle reprend mes anciens crédits, me prête (j'allais écrire me donne) d'abord 26 000 euros en février 2006 pour financer mon achat. Je suis pas très futé et on ne m'aide pas. A aucun moment, la banque n'a remis en doute le fait que je puisse avoir d'autres solutions ou simplement que je réfléchisse.

Nous achetons la maison, formons une SCI (on cotise tous les deux 75 euros / mois pour alimenter le compte et faire face aux dépenses d'impôts). Mais je reste un inconscient. Arrive l'automne 2006 et devinez qui n'a pas payé ses impôts ? Je rajoute 4500 à mon crédit. Je dois désormais 29500 euros. A cette époque, je gagne 2500 euros, j'ai un loyer de 750, des mensualités qui sont déjà de 900 euros.  Je me dis que c'est jouable. Quant aux impôts, je continue à ne pas les compter (300 euros) par mois. L'idée que l'électricité (35 euros), les transports (60 euros), le téléphone, internet et tout ça, ça coûte quelque chose (à l'époque autour de 75 euros). Je n'ai pas vu que chaque mois sortent 2135 euros. Il m'en reste 335. C'est beaucoup ... faut être honnête, c'est plus de 2000 francs ! J'aurais pu m'en sortir ... mais je fume (à l'époque le paquet est autour de 4euros, de mémoire), je mange, je sors et j'ai commencé une analyse. Bref. Je dépense de l'argent que je n'ai pas.

Arrive Noël 2007, mon amie de l'époque vient vivre chez moi. On achète une machine à laver, des meubles (nous sommes tous deux de très gros lecteurs ... je pourrais ajouter au moins 50 euros de lecture chaque mois à mes dépenses, ça m'est tout aussi vital), pas grand chose, et à deux. En mai 2007, j'ai mon premier retard de loyer (après une énième ATD pour les impôts). Nous sommes deux, mais je vis seul avec ma dette ... N'en parle pas, fais comme si tout allait bien et minimise. Je pense que tout le monde aurait compris, mais je crois que c'était moi qui ne comprenait rien et ne pouvait rien dire de la manière dont je gérais ma vie. Je n'avais pas appris à gérer mon argent. Ma famille est une famille de la classe moyenne et mes parents ont eu pas mal de problèmes de crédit mais je crois qu'ils ne nous ont jamais transmis leur expérience. Ca aurait été utile, pourtant.

Vient l'année 2008. Nous nous séparons (et je pense que le mystère qui régnait autour de mes dépenses commençait à me travailler et à me rendre pas très vivable). C'est le dernier crédit que je prends. J'en arrive à 1400 euros de mensualités. Mon salaire a augmenté (autour de 2800 euros). Je pense continuer à m'en sortir (parce que je n'ai toujours pas compris que, justement je ne m'en sortais pas et que j'étais surendetté). Je continue à vivre dans l'inconscience (je préfère ce terme à celui d'insouciance car pour moi, vivre sans soucis, c'est positif). Je fais une nouvelle rencontre. Voyages, vacances, sorties, crédit ... je n'ai rien changé. ATD+dépenses courantes trop hautes = crédit.

Pendant l'hiver 2009, je pars visiter une très belle région d'Eurasie. Il fait froid mais c'est une belle journée ensoleillée. J'attends le train. Je fais mes comptes ... comme ça, pour m'occuper. Je comprends d'un coup. C'est  la révélation. J'ai les poches pleines de papier froissé jaune et bleu. Des figures bizarres, des têtes, des monuments imprimés en encre filigranée. Les billets sont sur moi, mais ils ne sont pas à moi. Ce paradoxe me frappe comme la foudre. Dans une BD on aurait dessiné une petite ampoule sur ma tête. Je jure de m'occuper de cela une bonne fois pour toutes.

Je rentre. On est en janvier 2010. Je cherche d'abord conseil auprès de ma banque. Ma conseillère n'est plus la même. Celle-là "découvre" l'ampleur du désastre, prend l'air contrit, disparaît dans l'open space et discute avec son chef. Je crois rêver. Je le vois lui faire de grands gestes et agiter son doigt de droite à gauche. Je lis sur ces lèvres "Non, non". "Non?" On ne m'a jamais dit non ! Je panique. L'abime s'ouvre, c'est une figure que nous sommes nombreux à utiliser et je  le sens, ce vide sous les jambes comme si le sol se dérobait. Ma conseillère me dit d'aller consulter des organismes spécialisés. Elle ne me donne aucune adresse. J'appelle, je vais sur internet. Deux solutions apparaissent. Le dossier banque de France ou le rachat de crédit. Grâce à mon infaillible intuition, le lecteur perspicace devinera que j'opterais pour la solution la plus pourrie. La BdF ne propose pas de simulation en ligne, des décisions immédiates. Elle ne donne pas des solutions toutes faites, n'apparaît pas la première sous google. Je me dis aussi que c'est la honte pour un cadre A de la fonction publique d'état d'aller à la BdF. Les courtiers qui courtisent, les banques "mutualistes", les crédits "solidaires" me paraissent plus adaptés. Et puis, le rachat de crédit c'est facile, c'est marqué partout. Trois mois de démarches, de chauffage de photocopies. Trois mois pour rien. En mars, je prends rendez-vous avec une assistante sociale. Elle m'explique tout l'intérêt de déposer le dossier BdF, m'en donne un, m'explique comment le remplir. Je rentre, fouille dans les papiers. Il y en a partout. J'ai l'impression qu'un ouragan a jeté à bas tous mes tiroirs. Signe du destin. Lorsque je descend mes poubelles, je récupère un petit meuble de classement quasiment intact. Je l'adopte, il est toujours chez moi, les tiroirs pleins jusqu'à la gueule.

La rencontre avec l'assistante m'a permis de nommer ma situation. Je suis surendetté. Je peux commencer à en parler, en premier lieu avec ma compagne et le pote avec qui j'ai acheté la maison. Il a une réponse géniale "tu es une victime, je vais t'aider". On discute, je peux prendre un peu d'argent sur le compte de la SCI qui est relativement bien pourvu. Deux autres potes me prêtent de l'argent. Mais c'est un puits sans fond. Je suis surendetté et je ne me résous toujours pas à déposer un dossier. L'argent qu'on me prête me permet juste de survivre. Pendant l'été, ultime illusion, le "crachat de redit" hypothécaire. Mes parents me font donation de la maison de famille en Corse. Petite maison, joli terrain sous les cyprès, la vue sur le maquis et les courbures rocheuses. Je recours les courtiers. Un de mes potes me propose même un PACS pour être co-emprunteur avec moi ! Mais même ainsi, ça ne fonctionne pas. Je n'ai toujours rien compris ! Je pense que l'hypothèque me rend solvable. Mais ce n'est pas comme ça que cela marche. Mes dettes aux impôts sont rédhibitoires et il faut bien que ces pauvres petites entreprises artisanales de rachat de crédit vivent et arrivent à me fidéliser pendant 10 ans autour de mensualités "minimes" de 950 euros par mois ! Comme mon loyer a augmenté ... je ne suis toujours pas dans les clous.
En septembre 2010, je change d'établissement (je fais un métier qui a à voir avec le fait de se trouver devant trente adolescents et de leur raconter deux trois trucs sur l'histoire et la géogrpahie). J'ai beaucoup d'énergie et j'adore mon travail. Je fais des heures supplémentaires (dans les limites raisonnables en terme de fatigue et dans les limites morales que je ne prend pas des heures de quelqu'un d'autre). Comme d'habitude, je n'ai payé aucun des trois tiers. Je décide alors d'être moins passif. Je vais sur nôtre forum. Lis beaucoup, souvent avec émotion. Je crée un fil en novembre et je reçois de nouveaux conseils.

Décembre, dépôt de dossier bdf. Mensualités de contact pour dégager de la trésorerie et régulariser ma situation avec le fisc. Je suis mensualisé pour l'IR et la TH. Au printemps 2011, mon dossier est jugé irrecevable.
Je n'ai toujours pas compris que, comme il l'est beaucoup rappelé ici, il faut être patient, ne pas paniquer et ne pas se précipiter. Le rachat avec hypothèque n'a rien donné ... et c'est tant mieux. Je n'avais pas compris que le rachat n'aurait servi à rien

Persévérance

Bonjour,

J'essaie de retrouver votre ancien fil ... vous aviez le même pseudo ?
Je vais finir par réussir à essayer d'arriver de ne plus paniquer dans le vide

Ostap Bender


Ostap Bender

Je l'ai trouvé dans les archives ici
https://forum-entraide-surendettement.fr/archives/index.php?topic=2934.0
Je sais pas si ça peut aider.

Persévérance

Citation de: Ostap Bender le 22 Mars 2013 à 12:28
Je l'ai trouvé dans les archives ici
https://forum-entraide-surendettement.fr/archives/index.php?topic=2934.0
Je sais pas si ça peut aider.

Si, vous avez fait le travail,  bbbo bbbo   
Je vais finir par réussir à essayer d'arriver de ne plus paniquer dans le vide

Comailles

Merci pour ce témoignage ;)


Où en êtes vous aujourd'hui?

Ostap Bender

Nous sommes au printemps 2011. Je digère très mal le refus de la banque de France. Je panique encore plus.
J'étais tellement persuadé d'être dans mon bon droit (j'avais réglé mon problème d'impôts) et d'avoir fait des efforts que lorsque le RAR signifiant la décision est arrivé, le sol s'est ouvert une deuxième fois sous mes pas. Nouveau vertige, le second d'une longue série. Je continue à venir sur le forum ... mais le coeur y est moyen

Je subis les  coups de fils mais comme j'ai changé de numéro de téléphone, seul un créancier m'appelle ... et je ne décroche pas. J'ai arrêté de payer en novembre, trois appels par jour, je ne réponds pas aux numéros masqués et les numéros en 08 sont renvoyés sur ma ligne téléphonique à domicile qui ne possède pas de combiné ! M.....e a le numéro de mes parents. Ils appellent, font peur à ma mère qui a failli leur signer un chèque. Mon père m'appelle. Je passe une soirée en famille. Ils appellent, nous regardons le téléphone, je décroche et me fait passer pour mon père. Non je ne sais pas où est Ostap ... C'est un mauvais fils. Le type explique que mes parents risquent de payer. Je dis au gars que la conversation est enregistrée et que ce qu'il fait ça s'appelle du racket et que je vais porter plainte. Le type raccroche et n'a plus jamais appelé mes parents.

Mes créanciers adoptent des stratégies différentes.  C.......s (9000 euros à 7%) m'envoie un courrier direct. Déchéance du terme mais ils attendent la décision du JEX. La Banque Ferrugineuse Malentendante (mon principal crédit 29500 euros à 7 %) suit cette stratégie également. M...........e pour la carte Gratty opte pour la tactique du salami. Dans l'ensemble, je ne peux pas dire que ces deux créanciers se soient montrés désagréables. Je tiens à signaler ces deux exceptions car les deux autres créanciers ne seront pas aussi courtois. Palme de l'hypocrisie à M.......e. Un courrier reçu, après qu'on leur ait signifié la décision de la BdF, me dit que vraiment, ils comprennent et qu'ils acceptent les mensualités de paiement en attendant la décision du JEX. Mais ils confient mes six impayés (ceux que j'ai créés en stoppant les prélèvements et en optant pour les mensualités de contact) à une triste sire (c'est quoi le féminin?) agent de recouvrement de son état. Mon dernier créancier (deux crédits F......F) envoie mes créances à un huissier installé à la préfecture.   

Un soir, je rentre chez moi .... un beau papier jaune décore ma boîte aux lettres. Touche criarde au milieu de la grisaille boxopostière, des caractères de taille abusée qui signalent à quel point je suis un sale type. Je prends la photo appelle au numéro. Je suis terrorisé mais le forum me donne assez d'exemples de gens qui se surpassent, se défendent bec et ongle. J'essaie de me montrer digne. J'appelle signale ma révulsion en termes choisis. Le type au téléphone s'excuse et met ça sur le dos d'un stagiaire. Il m'invite à passer. J'hésite. Je consulte le forum, on me dit de ne pas y aller.

J'y vais. Gris le bâtiment près du lac, derrière la préfecture et les flèches imposantes du palais de justice. Un bunker surchauffé. Accueillant comme un commissariat. Je suis terrorisé, sans volonté. Et on m'accueille gentiment. Mes mains serrent un verre d'eau pendant que je leur fais un chèque de 3000 euros et que je fais dix chèques de 500 euros. Ils n'ont rien, aucune IP n'est tombée, aucun droit. Et pourtant, je paye. Je reviens chez moi. Je me dis que j'ai commencé à rembourser. Je ne comprends toujours rien. Le lendemain, je reviens sur le fofo. Je relis. J'ai honte. Je prend conscience que je viens de faire une erreur fatale.

Commence une phase des plus pénibles. Une phase de honte. Chez l'huissier, je cède devant tous leurs arguments et leurs mensonges. Ils me disent que cela ne pose pas de problème pour la décision finale de recevabilité, cela montrera ma bonne foi. Je sais que c'est faux, de A à Z et que la vérité est ici, sur le forum, et pas chez ses escrocs. Mais je suis tellement surpris de l'affabilité, du regard compréhensif et du ton posé de mon interlocuteur. J'oublie qu'on me regarde derrière une vitre sécurisée. J'oublie qu'à côté de mon lieu de travail se trouve un garde-meuble qui ne désemplit pas et que je n'ai pas affaire à Mowgly mais à Kaa. J'oublie que si ces gens se font appeler par leurs prénoms précédés de monsieur, ce n'est pas pour garantir une plus grande proximité mais parce que ces types (que des hommes dans cette étude) mettent à genoux des familles et que parfois, on leur en veut dans nos banlieues. Mais mon esprit d'analyse s'est fermé. Ils ont la force, ils sont brutaux, j'ai peur. On me traite gentiment, je capitule sans combattre. En faisant ce chèques, je viens de perdre beaucoup. Sur le plan de la procédure, j'ai favorisé un des débiteurs. Sur le plan de l'estime de moi-même, je viens de découvrir que je n'étais pas courageux et que le courage est une vertu exceptionnelle, même si elle est très fréquente sur ce forum.

Je prie le lecteur de méditer cette phrase d'une grande dame, ici présente:  "il n'y a que les combats que l'on ne livre pas que l'on est sûr de perdre..." . J'ai décidé de ne pas livrer le combat. J'ai perdu.

bisane

Merci pour la "grande dame" qui n'en mérite pas tant...  ;)




Vous ne nous dîtes toujours pas précisément où vous en êtes...  :-\
Ni ce que vous venez chercher, d'ailleurs, même si votre prose est agréable à lire...
il n'y a que les combats que l'on ne livre pas que l'on est sûr de perdre...

Ostap Bender

Je continue ... ça me demande des efforts de mettre ça en ordre. Mais j'ai envie de témoigner ... de raconter un fil de vie, parmi d'autres.

Me voilà donc sur le parvis gris derrière un centre commercial de banlieue. J'ai laissé dix chèques de 500 euros et la boule qui se serre dans ma gorge pèse le poids d'un âne mort. Je culpabilise ... je ne retourne plus sur le forum. J'ai trop honte d'avoir accepté dans la précipitation de négocier dans la précipitation. Je me laisses faire jusqu'à être l'acteur d'une pièce tragi-comique avec dans les rôles principaux, votre serviteur et l'agent de recouvrement de la société M......e qui me réclame des impayés (cette société, particulièrement nuisible, a fait le choix d'attendre la décision du Jex en attendant les impayés et moi, comme un idiot, je suis prêt à payer).

La scène se passe dans une ville de banlieue très semblable à ma ville chérie. Une ville dans laquelle j'ai des bons souvenirs. RER, route qui monte vers les coteaux du plateau qui borde la rive sud de la Seine. Il fait beau. Je m'attends à trouver un bureau. J'ai une adresse. J'arrive c'est le parking d'une grande enseigne de distribution. Une dame fait le pied de grue. Fatiguée, grisâtre. Nous sommes seuls. Elle me demande si je suis bien monsieur Bender Ostap. Oui en chair, en os et en peur. "Faut me règler tout de suite" me dit-elle. Je regarde. J'attends qu'elle me dise "on va aller à mon bureau". Elle ne bouge pas. Je comprend qu'elle attend que je sorte mon chéquier, que je m'appuie sur un capot de voiture et que je lui signe son chèque. Je prend conscience du côté ridicule de la situation. Elle me dit qu'il faut que je la paie sinon elle appelle la police. Elle sort son portable. Je lui dit que j'attends qu'elle appelle. Je lui demande ce que ces messieurs-dames des force de l'ordre pourront penser de la situation qui me fait diablement penser à un racket. Il ne manque que des gros-bras et j'ai l'impression d'être dans un mauvais épisode de série policière. Elle devient verdâtre, range son portable et me sort une carte de visite qu'elle brandit comme un insigne de police. Je suis pris d'un fou-rire et je lui tourne le dos pour repartir. Elle dit des choses, menace, éructe. Je m'en vais et reprend le train. Je reprends un peu confiance. Commence à me dire qu'il est possible de faire opposition aux chèques chez l'huissier et de préparer sérieusement l'audience près du Jex.

Mais les jours suivants emportent ces bonnes résolutions. Le bilan professionnel de mon année dans un nouveau contexte est catastrophique et j'apprends (le même jour que celui du parking) que mon "projet de mutation" a échoué. Je me trouve donc bloqué. Ensuite, je suis ébranlé par la fin de deux belles histoires d'amour. Enfin, l'hospitalisation d'urgence de ma mère et ses conséquences achèvent ma (petite) lucidité. Mes déboires sentimentaux et le nouveau regard que je suis obligé de porter sur ma famille font que je ne sais plus où donner de l'angoisse et comment garder la tête sur les épaules. Je pars une semaine, dans la maison que j'ai acheté en 2006 avec mon pote. Je commence à détester ce lieu qui m'a tant coûté. Nous discutons beaucoup avec mon ami. Nous décidons de vendre. Mais les agents qui viennent visiter la maison, nous disent tous la même chose. Autour de 30 000 euros sur un marché local atone, moins que ce que nous avons payé. On pourrait en tirer plus à condition de faire des travaux. Mais notre SCI n'a pas d'argent.

Je reviens de ces courtes vacances aussi angoissé. J'apprends par courrier que l'audience devant le Juge d'exécution doit avoir lieu au début du mois de novembre. La simple image mentale du Palais de Justice, massif, en hauteur qui écrase de son poids les hlm alentours me terrorise. J'y étais allé, dans une autre vie, pour assister des élèves sans-papiers. Nous n'y avons jamais perdu, grâce à la force du collectif. Là, je suis seul ... je sais que je n'irais pas. Je suis incapable de me dire qu'il faut que je me prépare, que je trouve des choses à dire, des chiffres qui montrent que j'ai rétabli ma situation. Je n'ai plus de problèmes d'impôts, plus de découvert, j'ai cherché à vendre mon bien. Mais je sais aussi que le Jex n'écoute que les chiffres et ceux-ci indiquent que j'ai favorisé un débiteur. J'écris pour dire que je renonce à ma demande. Je capitule, une énième fois.

La rentrée à venir m'assombrit l'humeur. Je décide de partir en Normandie où un couple de mes amis fait pousser des légumes et deux petites filles espiègles. Ils ont des idées bizarres sur le plan politique. Ils croient en la solidarité, au collectif et aux coopératives. Ils sont en revanche très sceptiques sur l'idée d'héritage. Un soir, après le repas, nous goûtons une magnifique vodka aux herbes. Nous discutons. Ils me demandent où j'en suis avec mes dettes. J'explique. Mon ami me dit alors "tu as besoin d'argent ... nous allons t'en donner". C'est aussi simple que cela. Ils ont reçu un héritage que d'autres auraient placé. Eux ont décidé de faire des travaux chez eux. Comme ils bossent eux mêmes ou avec des amis, ils avancent à leur rythme. L'idée est qu'ils n'ont pas besoin de l'intégralité de la somme dont ils ont hérité. Leurs travaux doivent prendre six ans. Pour les financer, chaque année, ils auront besoin de 2000 euros. Ils me prêtent 6000 euros, à charge pour moi de leur rendre 2000 euros chaque année. Cela me paraît complètement dingue, je leur fais la morale, même. L'argent c'est sérieux, je les préviens qu'il peut m'arriver quelque chose et qu'ils pourraient être dans la mouise ... Ils insistent.

bisane

Vous tenez le début d'un bouquin !  ;)
Et savez maintenir le suspens...


@ suivre...
il n'y a que les combats que l'on ne livre pas que l'on est sûr de perdre...

Ostap Bender

J'accepte.

Je rentre chez moi. Je suis bouleversé par le geste de mes amis. J'ai rencontré du courage ici, j'en ai vu là bas aussi. Mes amis normands ont gonflé mon portefeuille et m'ont redonné le moral. Mon analyste m'aide à comprendre ce qui se joue, pour moi, dans la dette. Je regarde cette question d'un autre oeil et comprend mieux ma passivité. J'ai fait des erreurs ... je les ai accumulées, même. Il s'agit maintenant de faire de ces erreurs une force. Je sens mes voiles gonfler. Mais je me connais assez bien pour savoir que la moindre bourrasque peut avoir raison des bonnes résolutions. Le fait est qu'en discutant avec mes amis, potes et camarades de jeu (pas d'argent, hein) et de lutte, je parviens à trouver du soutien psychologique et financier. Quelques jours après la rentrée, un autre de mes amis me propose 5000 euros.

C'est un militant syndical, un compagnon de lutte et un super collègue avec qui j'ai travaillé. Lui aussi il croit à la solidarité et un peu moins au patrimoine. Il vient d'être papa et de s'installer avec son amie et leur fils dans une jolie petite maison.  Il connaît depuis longtemps mes problèmes et c'est l'un des premiers que j'ai mis au courant.  Il m'a accompagné dans pas mal de démarches. Et à une époque où je courrais les crachats de crédits, il avait même proposé de nous pacser pour pouvoir être mon co-emprunteur. Il m'explique qu'il a 5000 euros en trop sur son compte qui proviennent de son prêt immobilier. Il me dit qu'il paierait des frais pour rembourser par anticipation une partie de son crédit et que donc cet argent ne lui sert à rien maintenant. J'ai honte, j'ai l'impression de priver son fils ! Il rigole et me dit que sa copine et lui ne comptaient pas acheter à leur enfant une poussette en argent. J'accepte.

J'ai saboté mon propre dossier BdF ... il faut donc que je fasse autrement. A l'argent qu'on m'a prêté, et au petit pécule que j'ai pu reconstituer pendant l'été vient s'ajouter le produit de la vente d'un terrain que la mère possède en Corse.  Je sais que c'est un déchirement, que sur les terrains qu'elle a vendu, nos ancêtres ont trimé. Sur un sol ingrat, sous un soleil de plomb, avec pour seule récompense les fragrances de la myrte et des arbousiers, ils ont construit leurs champs et leurs terrasses. Lorsque je venais en vacances, c'était juste du maquis, intégral, broussailleux, coupant. Le terrain de jeu idéal pour des enfants. C'est ce terrain qui est vendu. Et avec lui, les rêves de mes ancêtres. Ce qu'ils ont patiemment accumulé de fines parcelles murées, de micro-potagers à l'ombre des chênaies, de prés jaunis au soleil de feu, ma dette va le démanteler. Il en était ainsi, je ne peux que le regretter. Mais comme on disait dans l'ancien Temps, "Le Vif saisit le Mort". Notre seule satisfaction sera de savoir que ces terrains n'iront pas nourrir les promoteurs (du moins pas tout de suite, car il est illusoire de croire que l'usage de la terre est immuable) mais un agriculteur du village. Bilan de la vente: 10 000 euros.

Je commence donc l'année avec deux nouveaux crédits (les prêts de mes amis) et un pécule reconstitué. Je solde mes dettes par ordre de taux d'intérêt. A la fin de l'année, il me reste deux prêts à "taux zéro" et un dernier prêt de 29 500 euros consenti par la Belle Fille de Marseille  au taux contractuel de 6,49 % pour lequel j'ai déjà remboursé (jusqu'au 5 décembre 2010, déchéance du terme prononcée le 20 mai 2011) 49 mensualités sur 84. En décembre 2011, le juge me signifie l'irrecevabilité de mon dossier. J'appelle la Blanche Frite Malinoise qui accusent réception. J'attends, j'économise, et donne chaque mois 332 euros à mes amis (166 sur 36 mois pour le prêt de 6000 euros et 166 sur 30 mois pour le prêt de 5000 euros). En mai 2012, coup de fil du service contentieux du Bromure Foireux et Maléable. Nous convenons d'un arrangement. Je leur doit 16 356,17 euros. Je verse 2 356,17 euros puis 500 euros tous les mois (28 mois donc).

Ma situation budgétaire est dès lors:
Mes crédits 500 + 332 (les deux prêts de mes amis) = 832. Cela représente 33 % de mon salaire. J'ajoute le loyer (760 euros/mois ... il a augmenté bien plus vite que mon salaire, celui là !) = 30 %, les impôts sur le "continent" (IR+TH=475 euros), mes impôts en Corse (TH+Taxe foncière = 40 euros) = 16 % pour les impôts. Edf,  mutu, cotisation syndicale, le téléphone et l'assurance (même remarque que pour le loyer, les petites bêtes grimpent, grimpent et grimpent, ça fait environ 100 euros = 3.5 %). Le reste c'est 560 euros. C'est beaucoup (un peu plus que le reste à vivre que la Banque de France avait calculé) mais dans la vraie vie, c'est parfois peu. Pas de vêtements en plus, plus de voyage mais beaucoup de lectures(plus de livres sur les étagères, mais ma ville a investi dans une très belle bibliothèque), plus de cours de russe mais discussions sur Skype, plus de télé (comme la vie est belle!) mais beaucoup de radio, plus d'abonnements aux revues et aux journaux mais il y a internet. Plus de cadeaux aux potaux, aux neveux, nièce et filleule, mais un peu plus de présence, de temps et d'écoute pour les uns et les autres. Seuls frais incompressibles: le chocolat, les cigarettes et mon apprentissage auprès de Maître Yoda.

Tout en acceptant l'agrément, "mon dossier est transmis à la juridiction compétente pour obtenir un jugement". Je suis surpris, pleurniche et fais mon caliméro. Mais en composant cette rubrique, je m'aperçois que c'est écrit noir sur blanc sur notre agrément. Première audience, le 20 novembre 2012. Je ne retrouve aucun papier (déménagements, ruptures, moments de crise ...). Je décide de jouer sur l'apparence. Je me parfume, cire mes mocassins et réalise que la marine nationale me les a donné en 1997. Lustrés, noirs, brillants ... on a l'impression que je les ai acheté hier ! Ils sont bien plus vieux que mon portable mais on bien meilleure allure. Le pantalon et le pull sont un peu élimés et il manque des boutons à mon duffle-coat, ce que cache la jolie écharpe qu'on m'a offerte.

A cette époque je n'avais pas lu le beau texte de Bisane sur l'audience. Tout y est dit. Seul le décor change. Je connais le bâtiment. Pendant mon adolescence et une partie de mes primes années étudiantes, j'étais membre d'une association qui partageait cet immeuble administratif avec le TI et le commissariat. Il fait beau, un temps doux d'automne, venteux. Arbres jaunis sur la place, reflets mouillés de la pluie sur le bitume, balai des autobus et fracas du RER. Ni mon duffle coat, ni mon écharpe ne détonnent dans ce décor automnal.

Comme Bisane, je suis frappé par l'étrange répartition des sexes. Messieurs les maîtres, peu nombreux et assis à droite lisent l'équipe. Mesdames et mesdemoiselles les maitres, à gauche, tapotent sur leurs portables en attendant. L'une d'entre elles tourne délicatement, de ses ongles peinturlurés, les boucles de ses magnifiques frisotis roux. Je me mets à gauche, au fond. Derrière moi, un groupe de co-propriétaires complotent contre leur syndic, une jeune femme berce son enfant d'un air las. A côté de moi, un type qui ressemble à un boxeur en fin de carrière est courbé, la tête entre les mains, les coudes posés sur les genoux. Mes frères humains, à quelle sauce allons-nous être mangés ?


feufolette

c'est un régal de vous lire....... :D
l'artiste est menteur mais l'art est vérité (François Mauriac)

zorah0412

en effet!
très belle prose!
en espérant que vous vous en êtes sorti! ;)


:P :P :P :P :P :P :P :P :P
mieux vaut être optimiste et se tromper que pessimiste et d'avoir raison!

bisane

Citation de: zorah0412 le 24 Mars 2013 à 19:04en espérant que vous vous en êtes sorti! ;)
Un semblable suspens ne saurait être maintenu sur un tel forum, par un auteur qui dit lui-même avoir choisi d'emprunter des chemins de traverse et s'en trouver un peu honteux (ce qui n'est en aucun cas nécessaire), et de manière aussi longue et haletante, si un bout de lumière n'était apparu au bout du tunnel...


Si vous me faites mentir, Ostap, l'âne vous rejoindra aux enfers pour vous écraser de ses coups de sabots !  >:D
il n'y a que les combats que l'on ne livre pas que l'on est sûr de perdre...

Ostap Bender


Vos menaces ne m'effraient pas !  ;D Et je ne crois pas à l'enfer.
Par ailleurs quelque chose me dit que si un tel lieu existe, je pense que les diables ne sauront pas où donner de la tête avec les hommes politiques, les banquiers qui nous ont mis dans la merde (qu'ils viennent lire ici les histoires grrrrrrrrr !), les huissiers et les agents de recouvrement ainsi que les adeptes du "crédit responsable" qui sont leurs complices et une grande partie des économistes. Donc, nous on sera tranquille dans notre coin ... peut être une bonne occasion pour se faire une belote (juste pour le plaisir).
Ou alors espérons que l'enfer est géré comme l'économie mondiale. Des algorithmes génèrent des cohortes de damnés virtuels que personne ne sait compter et les âmes que rachète Satan perdent leur valeur plus vite qu'une action facebook. Les enfers sont désertes car on les a construites trop large pour profiter de la loi Scellier. Les diables majeurs se réunissent en Suisse pour parler de la crise du coup de fourche et décident de remplacer les diables mineurs par une main d'oeuvre bon marché issue des enfers asiatiques. Les nouveaux venus réalisent leurs mauvaises conditions de travail (chaleur, cadences infernales) et se mettent en grève ou partent lutter à Notre Dame des Landes.
Il y avait cette blague. Khrouchtchev, le dirigeant soviétique meurt et on lui propose l'enfer communiste ou l'enfer capitaliste. Il répond sans hésiter "l'enfer communiste, les diables sont trop occupés à se surveiller les uns les autres, l'économie est planifiée et il y a pénurie de charbon et de bois. Quant aux démons qui tourmentent les pêcheurs ils boivent de la vodka et n'en rament pas une".

La suite arrive !

zorah0412

mieux vaut être optimiste et se tromper que pessimiste et d'avoir raison!

Ostap Bender

Rien n'est particulièrement solennel dans la salle. La table où prennent place la juge et le greffier, deux jeunes femmes est juste démesurément grande, comme il se doit. De hautes fenêtres font entrer un peu de lumière du jour mais deux lustres étranges, noirs et courbés comme des cimeterres me paraissent figurer l'épée suspendue sur ma tête. Le seul élément de gravité est la voix de l'huissier, forte, calme, claire. Il appelle et justiciables et avocats se rapprochent du tribunal. Parfois un ou plutôt une avocat bouge les bras, comme à la télé. Parfois on sent de l'incompréhension chez ceux qui ne portent pas la robe. La dame avec son enfant est appelée. Elle porte son enfant sur elle. Les quelques pas qu'elle fait vers la juge réveillent le bébé qui se met à gazouiller. A mi-chemin, elle s'arrête pour le rassurer. Ceux qui la poursuivent, des particuliers, comme elle, la regardent d'un air stupéfait. Je n'entend rien à la discussion. Je pense à autre chose. Puis vint mon nom. J'essaie de marcher droit, l'avocate se lève. Une toute jeune femme. Le juge lit le motif de mon assignation. Me fait confirmer nom, prénom, naissance, nationalité. Pas de commentaire. J'avais peur de mots déplacés (et cette crainte n'est pas complètement infondée lorsque je lis certains témoignages). L'avocat n'en fait pas trop. Elle ne met aucun pathos. Nous savons tous pourquoi je suis là. Elle répète ce qu'il y a dans l'assignation en rappelant que depuis la signification de l'assignation j'ai remboursé, en fonction de l'agrément que j'ai signé avec le service contentieux de Braque le Frein Moteur. Je savais que ça irait vite. C'est mon tour. Je confirme que je paie déjà que mes revenus sont de tant. On ne me demande aucune pièce, aucune justification. Je rajoute juste, avec la plus grande humilité, que l'assignation entraîne des frais supplémentaires alors que nous avons un agrément. On m'écoute. Jugement le 19 janvier. C'est fini. Je ressors. Quelques mots de l'avocate qui me fait comprendre qu'on va trouver un arrangement et que je devrais limiter la casse. Elle m'explique que comme j'ai commencé à payer, la juge renoncerait peut être à la pénalité. Nous nous serrons la main. La place, le café au comptoir où je connais tout le monde.

La vie reprend. La saison des conseils. Fin de premier trimestre. Puis, examens blancs et vacances. Le soir de Noël, petit détour par la poste pour chercher un recommandé. Je le lis. Je ne comprends pas tout de suite. C'est une lettre de la présidente qui m'affirme qu'elle a constaté une irrégularité en raison du non affichage des mensualités sans assurance. Elle souhaite nous entendre de nouveau. Espoir ... . Je vais chez mes parents, nièces, neveux, cousins, petits-cousins, mes parents et mon frère. J'essaie de ne pas y penser. Mais j'en touche deux mots en deuxième partie de soirée lorsque je retrouve quelques uns de mes camarades plus tard dans la soirée. Ma deuxième partie de soirée me permet de retrouver quelques uns de mes compagnons de jeux. C'est un moment de trêve. Quelques jours en Bourgogne, puis direction la Normandie pour les fêtes de nouvel An. Ensuite retour chez moi. L'angoisse revient me taquiner. Je n'aime pas cet espoir. Surtout, je n'aime pas l'idée qu'on n'obtienne rien sans lutter. Ici, cela veut dire retrouver les contrats. Depuis la fin du dossier de surendettement (deux ans auparavant), c'est à peu près rangé. Mais me replonger là dedans ... c'est fouiller dans de mauvais souvenirs. Plus le jour approche et plus je dois lutter avec mon angoisse. Il faut se plonger, montrer que j'ai un avis sur la question.

Résumons nous. C'est mon dernier crédit. Il est logique que je le paie. Le créancier a été patient et lui, il a joué le jeu. Je ne pense même pas à vérifier le contrat initial. Je ne peux même pas imaginer qu'il puisse y avoir une irrégularité. Avec le service contentieux, nous avons trouvé un arrangement. Cet arrangement est le centre d'un équilibre, toujours précaire, mais qui se trouve dans mes cordes. Les conclusions de l'avocate arrivent, je les lis. Elle conteste le moyen soulevé par le tribunal. Je me dis que c'est logique, ils ne sont pas assez bêtes pour me faire signer une offre qui ne mentionnât pas le coût des mensualités sans assurances (c'est ce qu'a remarqué le juge). Alors je réfléchis et en bonne logique ostapo-benderienne (laquelle stipule en prémisse numéro 1 que l'immobilisme est le meilleur moyen de ne pas être déçu) j'en conclus que la juge me trouve juste très sympathique (c'est vrai avec mes mocassins et mon écharpe, je suis forcément quelqu'un de sympathique!) et qu'elle cherche juste à me faire gagner du temps pour faire rentrer la capacité de remboursement que j'ai déclaré au service contentieux de Beau Futon Madrilène dans les 24 mois fatidiques. Rétrospectivement, je reconnais ma bonne vieille angoisse, qui me signale que depuis quelques mois j'ai atteint une manière d'équilibre. Un équilibre dans lequel je paie pour un contrat de dupe ... L'idée que cet équilibre pût être remis en cause me déroute. C'est auprès de Maître Yoda lorsque je formule sur la pitié que j'inspire à la juge que je réalise à quel point mon idée est risible et qu'il est temps de ne pas sombrer dans de vieux travers.

Je saute dans le bus. Petit bus 60X3, mon coursier qui galope sur les boulevards et les avenues. Qui s'engage sans peur au milieu des barres où les fenêtres ouvertes laissent voir des assiettes de faïence bleue ou le service à thé cuivré, unique bien des familles des HLM. Je t'aime, ma petite ligne et tes cavaliers jeunes et vieux. Nous sommes serrés, il fait chaud. Vivement la maison parce que je t'aime petit bus mais . Tiens, il s'arrête longtemps à l'arrêt devant la gare. C'est bizarre. Je vois les hommes verts monter. Et merde! pas eu le temps de descendre. 75 euros d'amende. C'est le coût de "l'équilibre" que je m'acharne à défendre. Je rentre, bien décidé à vérifier point par point l'offre de crédit. Je cherche, je trouve deux offres de crédit. Aucune ne correspond (une date de 2005 et l'autre de 2006 mais n'est pas celle du crédit que j'ai souscrit en août). Il me manque une seule offre. Tout avait été rassemblé pour le dossier à la BdF, tout est à sa place, normalement. Je fous l'appartement sens dessus-dessous. Nous sommes Vendredi soir, l'audience a lieu le lendemain. Je passe un en mode archéologue. Pour rien. Je m'en rend malade. Je sens ma crise de passivité arriver. Elle est déjà en train de frapper à la porte pour se faire annoncer et me dire que Mardi, je n'irais pas au tribunal. Un de mes potes appelle. "Allo, ça c'est passé comment au tribunal?". J'explique "c'est demain". . On discute d'autre chose. Mais cela a suffit à me rappeler que je ne peux pas faire le mort, demain. Nous en avons parlé le soir de Noël et il s'en souvient. Je me dois de me défendre. C'est pour cela qu'on m'entoure. Pour me soutenir, littéralement m'aider à me dresser et à ne pas faire le mort.
Ce coup de fil me redonne suffisamment d'énergie  pour lire une dernière fois, les conclusions de l'avocate. Eh ! mais c'est marqué ... Elle écrit dans ses conclusions "L'offre du prêt mentionne le montant du prêt, le taux annuel hors assurance, le taux effectif global annuel, la durée de prêt et le montant des mensualités avec assurance". Je continue "L'offre de prêt mentionne, par ailleurs, le taux de cotisation de l'assurance, le coût total du prêt sans assurance, la période de pré-amortissement, le coût de l'assurance groupe obligatoire et de l'assurance facultative éventuelle de sorte qu'elle contient toutes les informations nécessaires permettant de déterminer le coût de l'assurance pour chaque échéance". C'est là que je comprend. Je vais me coucher. Dans ma tête, je comprend que ce n'est pas la peine de chasser le dahut. Elle, elle a le papier et manifestement il n'y figure pas la fameuse mensualité sans assurance.

Le lendemain. Re duffle-coat perdant ses boutons avec une écharpe plus adaptée à l'hiver. Petites chaussures lustrées la veille et frottées à l'huile de coude. Ongles impeccables, rasage de près, jolis coups de peigne. Re-parfum (mon A... Di G.o qui doit dater de 2006 est presque vide ... elle ne tiendra pas jusqu'à l'appel). Je m'assieds. Je veux rester concentré. Je lisais, en attendant qu'on m'appelle, un livre sublime qui me fait pleurer du plus beau sentiment du monde. Celui de savoir avec certitude qu'on appartient à l'humanité, que la vie vaut toute la peine du monde et qu'elle s'étend des abîmes les plus profonds, des vides vertigineux jusqu'aux plus hautes cimes et jusqu'à l'infini étoilé d'une belle nuit d'été. Je n ai pas entendu mon nom. L'émotion, sûrement. Je vois l'avocate (elle ressemble beaucoup à la première mais c'en est une autre). Elle se dirige vers la table. On m'attend, j'y vais. L'avocate commence. Je manque de la couper. Je me retiens. J'attends qu'elle ait finie. Elle répète ce qu'il y a dans les conclusions. C'est à mon tour de parler. Je précise que je ne conteste pas les conclusions mais qu'il ne me semblât pas qu'on m'ait proposé une calculatrice, le jour où j'ai signé l'offre, pour calculer à partir du coût total du prêt sans assurances, les mensualités. L'imparfait du subjonctif me donne de l'assurance, c'est un vieux truc de concours. La juge sourit, me voit venir. Je termine donc pas rire que la banque n'a pas rempli sa mission d'information. Jugement mis en délibéré. Rendu deux mois plus tard.

Le 19 mars, je me présente au TI. Je n'ai pas eu le temps de mettre mon déguisement. Sweat-capuche, jean et chaussures usées. Heureusement, l'huissier à voix de stentor m'informe que le jugement a déjà été envoyé et qu'il n'est pas utile d'attendre. Il me recommande de passer au greffe où se trouve justement la greffière. Elle me dit que j'ai été condamné à payer 3220,21 euros (un peu plus de 15 000 euros étaient demandés au départ). Je marmonne et borborygmise. Je sors. Trois minutes plus tard, je parviens à me convaincre que la greffière a du se tromper (mes calculs m'avaient amené à penser qu'au terme de la déchéance du droit aux intérêts je devrais encore environ 6000 euros). C'est vrai dans ma ville, il doit bien y avoir quinze messieurs Bender Ostap en procès contre Brumeux Frelon Magique dont le jugement a été rendu aujourd'hui et pour lesquels la société a été déchue de son droit aux intérêts. En deuxième couche, je me dis que j'ai du me tromper dans la date. C'est finalement jeudi que la lettre arrive. Oui c'est bien comme on m'a dit. Je lis le jugement. Je suis content de constater qu'on me juge de bonne foi (grâce au respect de mes arrangements) et la suite est ici ....

J'ai presque fini de raconter mon histoire. Maintenant, je pense à ce que j'ai ressenti lorsque j'ai eu soudain envie de me préoccuper de mes problèmes d'argent et de mes dettes. Ce jour où j'ai ouvert les yeux, où j'ai senti cet abîme que nous avons tous ressenti. Ce truc qui s'ouvre, qui donne le vertige, la nausée. Qui donne envie de pleurer, qui fait enrager, qui génère une énorme boule de culpabilité, de pensées qui galopent, se heurtent et cognent partout dans nos têtes. Ce jour là, j'avais déployé une énergie vaine, envoyé des dossiers à des organismes de rachat de crédit, consulté une étrange association et obtenu des renseignements. Je me souviens qu'à la fin de la journée, un peu sonné, j'étais prostré sur mon divan et je regardais mon unique plante verte. Elle était sèche, ses feuilles étaient jaunes. Je l'ai arrosé. Elle a reverdi tout de suite, comme pour me remercier.  Verser de l'eau dans le pot. Tout simplement. Aucun geste de cette journée ne m'a paru plus sensé. C'est encore ce que je pense maintenant.

sega78

Heureusement qu on est pas tous écrivain !!!!!
c'est pas aux singes qu'on apprend à grimper aux arbres

biquette59

C'est vrai Sega mais qu'est-ce que c'est beau, !!!!!! bbbo bbbo bbbo bbbo

Bravo à cette personne,  une fois que tu commences à lire le texte, impossible de t'arrêter.

Magnifique, je me suis régalée.

;)

Ostap Bender

#19

J'attends la suite et ça se passe ici. Ca devrait être fini d'ici un deux ou trois ans lorsque j'aurais fini de rembourser mes amis et la Brûlure Froide et Mordante. Mais d'un certain point de vue, j'en suis sorti.

J'ai fait beaucoup d'erreurs. Je suis même l'exemple de ce qu'il ne faut pas faire sur bien des aspects. Les chemins de traverse que j'ai explorés, je ne les ai pas choisis et ils se sont imposés à moi. Croyez-moi, amis forumeurs, rien ne vaut les bons conseils qui nous sont donnés ici ainsi que beaucoup de patience et de calme. J'ai manqué de ces deux vertus, pourtant essentielles et guère écouté les conseils qu'on me donnait. J'ai donc eu de la chance. De cette chance insolente. Mes amis qui me prêtent de l'argent, la présidente du TI qui soulève un moyen d'office en ma faveur. Cela n'a rien à voir avec moi car j'ai été souvent trop passif. J'ai capitulé tant de fois et si facilement que j'avais fini par oublier qu'ici on apprenait à résister, à faire opposition. Le jugement actuel reconnaît cependant mes efforts. Cela me donne une certaine fierté car si je regarde le chemin parcouru, je dois constater que j'ai bel et bien changé d'attitude par rapport à l'argent. Impôts payés en temps et en heure, plus de découvert, le nécessaire avant le superflu, l'usure avant le remplacement. C'est ici que je l'ai appris. J'ai toujours des sueurs froides lors de la lecture, crayon à la main, de mes comptes et ne laisse pas filer. Désormais j'ai un porte-monnaie, tout ne traîne pas dans les poches. J'ouvre l'oeil des fois qu'il y ait un truc récupérable dans le voisinage. J'oscillais entre une certaine négligence insouciante vis à vis de l'argent et des angoisses mortifères qui n'ont jamais été bonnes conseillères. J'ai fini par trouver mon chemin étroit entre les deux.

Une chanson cosaque dit "Le printemps ne vient pas pour moi" ... Cette année, le printemps tarde un peu sur mon Val de Marne. Rien pour faire briller les barres d'immeubles et égayer les gamins de toutes les couleurs. Les terrasses n'ont pas encore eu l'audace d'envahir les trottoirs et le beau parc à côté de chez moi est un peu désert. J'ai appris, c'est la conséquence positive de toutes ces angoisses, à me promener, à marcher dans mon quartier. Il est en friche. L'on doit y construire des logements pour la classe moyenne. 10 000 habitants en plus sont attendus. Des gens des classes moyennes, comme on dit. Les autres iront ailleurs. Plus loin, dans les bras de Scellier. Comme ils auront besoin d'une voiture (car les bassins d'emplois ne changent pas), les économies promises fondront en essence et en réparation. Le garde-meuble à côté de l'établissement dans lequel je travaille, lui, ne connaît pas la crise. Mais je ne pense pas qu'à cela, dans mes promenades quotidiennes. Je n'oublie jamais d'admirer la fleur rouge qui fleurit, malgré tout, auprès du réverbère. Où tire-t-elle cette force?  D'un terreau étique, d'une poussière d'argile et de graines répandues sur le bitume vitrifié, il peut jaillir des merveilles florales, des vies fragiles mais aussi parfois solides et fortes. Il en est ainsi sur les fil du fofo. C'est sur le compost des injonctions, dettes, créances, offres, offres de rachat, dossiers, chemises, carnets, avis de passage, lettres jaunes fluo sur les boites aux lettres que fleurissent les fleurs de la Solidarité. Et nous construisons dans ce petit coin du monde virtuel ce que d'aucun auraient appelé un intellectuel ou un expert collectif.

Un petit mot pour conclure. Nombreux sont ceux qui se demandent "s'il faut en parler". La réponse doit être nuancée, forcément. Chaque histoire possède sa propre vérité et sa singularité. Je tiens juste à dire que, dans mon cas, rien n'aurait été possible sans les potos et potottes.
J'ai parlé très tôt de mon endettement, c'était ce que me suggérait mon instinct, par ailleurs si faillible. Je ne regrette pas de l'avoir fait. Mes proches se sont inquiétés, parfois, mais ne m'ont jamais jugé et toujours soutenu. Pas seulement ceux et celles qui m'ont aidé et fait confiance en me prêtant de l'argent. Mais toute ma petite communauté s'est impliquée, chacun à sa manière et personne ne m'a jamais fait défaut. Ils demandaient, comme ça, au détour d'une question "Où en es-tu ?". Ils se tenaient au courant, écoutaient, interrogeaient ou envoyaient des sms la veille des comparutions ou des rendez-vous importants. Parler de sa situation, c'est aussi se forcer à répondre aux questions, à réfléchir à ses choix ... bref à mettre à distance ses problèmes. Alors, réfléchissez, comme l'a dit Bisane le silence n'est pas toujours d'or.

bisane

Citation de: Ostap Bender le 26 Mars 2013 à 21:57Où tire-t-elle cette force?  D'un terreau étique, d'une poussière d'argile et de graines répandues sur le bitume vitrifié, il peut jaillir des merveilles florales, des vies fragiles mais aussi parfois solides et fortes.
Comme vous ?  ;)
il n'y a que les combats que l'on ne livre pas que l'on est sûr de perdre...

zorah0412

superbe prose et vécu.... bbbo bbbo bbbo bbbo bbbo bbbo bbbo bbbo bbbo bbbo bbbo bbbo bbbo bbbo
Mais on en est où là, concrètement?
je vais prendre le temps de tout relire demain matin ;)    :P
mieux vaut être optimiste et se tromper que pessimiste et d'avoir raison!

Ostap Bender

Ici ...
Merci pour votre soutien Zorah
Vous donnez à tous beaucoup de courage

Comailles

Merci Ostap bbbo bbbo bbbo bbbo

Quel plaisir de vous lire bbbo bbbo bbbo bbbo

Ostap Bender

Et merci de tous les conseils donnés Comailles !

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